Monastère des dominicaines de Lourdes

 

La Visitation

Lecture

Marie se leva en ces jours-là et s’en alla en hâte au pays des montagnes dans une ville de Juda. Elle entra dans la maison de Zacharie et salua Elisabeth. Or il arriva, dès qu’Elisabeth entendit la salutation de Marie, que son enfant tressaillit dans son sein ; elle fut remplie du Saint-Esprit et s’écria d’une voix forte : « Tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni. Comment m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? Car aussitôt que le son de ta salutation a frappé mes oreilles, l’enfant a tressailli d’allégresse dans mon sein. Heureuse celle qui a cru que s’accomplirait ce qui lui a été dit de la part du Seigneur » (Lc 1, 39-45).

Méditation

La visitation comporte trois temps. Dans le premier temps, ce sont les sens qui sont touchés : Marie se hâte, Marie entre dans la maison, Marie salue, Elisabeth entend, l’enfant tressaille, Elisabeth pousse un cri. Alors seulement vient la parole qui explicite : celle d’Elisabeth à laquelle répondra celle de Marie dans le Magnificat.

La salutation de Marie

La salutation de Marie est l’élément déterminant. Marie n’était pas la première, depuis six mois, à venir saluer Elisabeth : shalom, « paix », était le salut utilisé par les Juifs. Cette salutation fait descendre la paix dans la maison qui est saluée, comme le dira Jésus (cf. Mt 10, 12). Mais c’est par le son de la voix de Marie, de celle qui porte l’Enfant-Dieu, que la salutation touche la mère et l’enfant. Pour en percevoir la portée, il faut nous arrêter sur ce mystère de la parole et du son de la voix. Nous sommes si habitués à le côtoyer que nous risquons de ne plus y faire attention.
La parole peut prendre naissance à divers niveaux : dans le cœur, dans l’intelligence, dans la sensibilité. Elle dit quelque chose de l’unification de la personne qui la profère, ou de sa dispersion, ou de sa superficialité. Cette parole frappe l’oreille de celui qui l’entend et ses résonances disent quelque chose de sa source. Le son de la voix intervient aussi, car il sert de véhicule à la parole ; il est porteur de vibrations en consonance avec la parole.
Tout cela entre en jeu lorsque Marie salue Elisabeth. Son cœur est entièrement habité par la présence de son fils, le Fils de Dieu, la Parole éternelle du Père. Sa parole porte l’empreinte de la Parole qui habite en elle et qui est la Paix. Le mot « paix » a donc pris naissance au contact de celui qui est le Prince de la paix ; au contact de la paix de Dieu qui « surpasse tout entendement » (Ph 4, 7). Paix, c’est un autre nom de la communion qui unit le Fils au Père et à l’Esprit. Cette paix, engendrée par l’amour, unifie le cœur. Et la parole qui naît dans le cœur de Marie prend le véhicule du son de sa voix pour se rendre auprès d’Elisabeth.

Jean trésaille

Le mot « paix » parvient donc à Elisabeth par le son de la voix de Marie ; mais l’enfant perçoit les vibrations. Avant même que sa mère ait réagi, il en est secoué, il « tressaille » — ce terme indique le mouvement de l’enfant dans le sein de sa mère (cf. Gn 25, 22).
Il ne pouvait comprendre le mot paix, mais il a perçu la profondeur de la paix dont le son de la voix était porteur. Il a tressailli de joie, de bonheur. On peut comparer cette perception à la joie d’un bébé quand sa mère lui parle : il ne comprend rien, mais il perçoit l’amour dont vibre la voix. Jean perçoit, dans la voix de Marie, la paix qui vient de Dieu et cette paix l’envahit. Cette paix est source de joie, de cette grande joie que les anges annonceront aux bergers à Bethléem. Paix et allégresse pour Jean-Baptiste, paix et joie pour les bergers. Qu’on se souvienne aussi des collines qui exultent de joie devant le Seigneur (Ps 114, 4).
Cette paix, le Christ la donnera à tous ses disciples : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix » (Jn 14, 27). Elle est participation à la paix de Dieu, elle est communiquée par l’Esprit. L’ange n’a-t-il pas annoncé à Zacharie que l’enfant « sera rempli du Saint-Esprit dès le sein de sa mère » (Lc 1, 15) ? Ce don de l’Esprit a certainement accompagné le tressaillement.

Les sens spirituels

Tout ce qui précède nous renvoie aux sens spirituels. La tradition, à la suite des Pères, a perçu en effet une analogie entre notre senti charnel et notre senti spirituel. Le cœur a des oreilles pour entendre la Parole, des yeux pour voir la Lumière, une bouche pour goûter combien le Seigneur est bon, un nez pour sentir la bonne odeur du Christ …
Tout cela dit notre capacité d’être affectés par Dieu. Alors que les émotions, les sensations, naissent d’un « toucher » par un objet extérieur, les motions naissent d’un « toucher » divin. Ici, c’est l’ouïe qui intervient : Jean est touché par la voix de Marie qui se fait le véhicule de Celui qui est la Parole. L’ouïe est d’ailleurs le sens spirituel le plus souvent rencontré dans l’Ecriture, car Dieu parle et le cœur entend : il est touché par la Parole. Les mots ne sont là que comme un intermédiaire qui permet ce contact, cette rencontre. Ici, ce n’est même pas le sens des mots qui intervient : l’intelligence de l’enfant n’est pas encore capable de les comprendre. Les mots ne sont pour lui que le véhicule de la présence de la Parole qui est Paix.

L’interprétation d’Elisabeth

L’Esprit transmet la paix du fils à la mère. Elisabeth sent le tressaillement de Jean et toutes les vibrations divines qui l’accompagnent se répercutent dans son cœur. Elle en comprend la signification grâce à une lumière toute spéciale de l’Esprit : en elle s’accomplit la prophétie de Joël : « Vos fils et vos filles prophétiseront » (Jl 3, 1). Elisabeth pousse donc un cri et se met à prophétiser. Elle sait qui est l’enfant que porte Marie : le messie ; son Seigneur (cf. Ps 109, 1), celui que son fils doit annoncer, celui pour qui il doit préparer « un peuple bien disposé » (Lc 1, 17).
L’Esprit, qui est venu sur Marie pour rendre possible la conception du Fils de Dieu, remplit maintenant Elisabeth et lui fait reconnaître la présence du Seigneur. Augustin explique :
« Pour dire ces choses, Elisabeth fut remplie du Saint-Esprit, comme l’a précédemment marqué l’Evangéliste, et le Saint-Esprit lui apprit, sans doute, ce que signifiait ce tressaillement de l’enfant ; c’est-à-dire qu’elle connut que celle qui était venue était la mère de celui que son fils devait précéder et montrer. Cette signification d’une grande chose a pu être réservée à la connaissance des grands et n’être pas connue de l’enfant ; car l’Evangile en rapportant le fait, ne dit pas que l’enfant ait cru dans le sein de sa mère, mais seulement qu’il tressaillit ; Elisabeth ne dit pas non plus : l’enfant a tressailli dans mon sein par un mouvement de foi, mais : Il a tressailli de joie. Nous voyons tressaillir ainsi, non seulement des enfants, mais encore des bêtes ; sans que cela vienne de la foi ou de la religion, ou de quoi que ce soit de raisonnable. Mais ce mouvement fut inaccoutumé et nouveau, parce qu’il eut lieu dans le sein maternel et à l’arrivée de celle qui devait enfanter le Sauveur des hommes. C’est ce qui en fait la merveille, c’est ce qui doit la faire compter au nombre des grands signes ; ainsi ce tressaillement, cette sorte de salut rendu à la Mère du Seigneur, n’a pas été un acte humain accompli par un enfant, mais un prodige opéré par la volonté de Dieu » (Augustin, Lettre 187, 23).

Louange de la foi de Marie

Elisabeth s’incline devant Marie, comme le fera plus tard Jean-Baptiste devant Jésus. Et l’Esprit lui donne la connaissance de son Sauveur, mais aussi de la foi de Marie, qui contraste avec l’incrédulité de Zacharie.
Marie a eu une foi exemplaire. Comme l’explique Augustin : « La Vierge Marie, qui a cru par la foi, a conçu par la foi » (Augustin, Lettre 187, 23). Tout son rôle dans la « naissance du salut » est en relation directe avec sa foi : elle a cru ce que l’ange lui annonçait, elle a conçu parce qu’elle a cru. Marie a conçu par la foi, parce qu’elle n’a rien apporté d’autre que sa foi. La foi de Marie n’est pas l’énergie par laquelle elle a conçu et enfanté Jésus ; elle est la disposition grâce à laquelle l’unique énergie du Saint-Esprit a pu opérer en elle. Ainsi pour être Mère-Vierge, Marie devait d’abord croire.
Marie a adhéré à la Parole de Dieu par la foi : toute sa vie était écoute de la Parole, union à la volonté de Dieu, joie d’accueillir cette volonté et d’y répondre, car elle était sous la mouvance de l’Esprit. La Parole de Dieu avait fait sa demeure dans son cœur, l’avait élargi. Sa longue écoute des Ecritures lui avait appris que Dieu est le Maître de l’impossible ; comme toute Juive, elle connaissait l’appel d’Abraham, la naissance miraculeuse d’Isaac, le passage de la Mer Rouge par les Hébreux ; en un mot, les hauts faits de Dieu. La Parole même de Dieu l’avait formée au discernement : l’oreille de son cœur distinguait le vrai du faux et ne pouvait pas se tromper. Marie reconnaissait d’instinct ce qui venait de Dieu, comme l’orfèvre reconnaît au premier coup d’œil la qualité d’un métal.

Nos visitations

Pour que nos rencontres deviennent des « visitations », il faut que Jésus naisse et renaisse dans notre cœur, car c’est lui qui est alors porté par notre voix jusque dans le cœur de ceux à qui nous adressons la parole. Par le son de notre voix qui frappe les oreilles du corps, nos paroles descendent alors jusqu’aux oreilles du cœur. Il en va d’ailleurs de même pour la prédication. Le contenu des paroles n’a aucune valeur, aussi juste soit-il, si celles-ci ne jaillissent pas de cette source, de ce lieu où nous enfantons le Verbe et devenons comme Marie, mère du Verbe.

Prière

Par la médiation de la Vierge Marie, accueillante à la Parole, fais fondre, Seigneur, l’insensibilité des cœurs qui te rejettent : rends-les perméables à ta présence. Suscite des prédicateurs dont le son même de la voix soit un écho de ta Parole.

Contemplation

Réjouis-toi, Marie, comblée de grâce,
le Seigneur est avec toi,
tu es bénie entre toutes les femmes
et béni le fruit de ton sein,
Jésus,
- notre paix
- que tu as accueilli dans la foi
- Messie de Dieu
- notre Seigneur
- Parole qui a pris chair en toi
- qui donne l’Esprit
- qui sanctifia Jean-Baptiste avant sa naissance
- dont la présence remplit de joie
- source d’allégresse pour ceux qui ne parlent pas encore
- né dans notre cœur par la foi
Sainte Marie, Mère de Dieu,
prie pour nous, pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort
AMEN.

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